L'interview de

Paul Deliège

Paul Deliège

pour

par Kalkaf

Olne, le 11/06/2005

Voilà que les Krostons refont surface, prêts à conquérir le monde !

Pourtant Paul Deliège avait réussi à les faire disparaître au milieu des années 1980. Mais, c'était sans compter sur cette mode du "Vintage" !

Les Krostons ont su marquer plusieurs générations de lecteurs sans doute parce qu'ils incarnent le Mal concentrant à eux trois le concept même du "méchant" de la BD : tour à tour maléfiques, orgueilleux, envieux, jaloux, méchants, belliqueux, assoiffés de pouvoir, dotés de pouvoirs monstrueux, immortels... mais surtout ridicules avec leur chimère de dominer le monde à 3 de leur hauteur de "3 pommes".

Ainsi, même si Paul Deliège affiche un fatalisme blasé, une clairvoyance raisonnée et un recul paternaliste sur son oeuvre, sa carrière, ses personnages et la BD en général, il n'en reste pas moins que l'engouement pour ces monstres verts au chapeau rouge est conséquent et aspire à une continuité.

Avec les Editions HIBOU / LOUP et OBJECtible, nous serons les maîtres du monde, parole de Krostons !

Kalkaf pour Les Krostons connaissent une nouvelle actualité foisonnante (rééditions des albums, sérigraphie, statuette) 20 ans après la parution de leurs dernières aventures (L'Héritier, en 1984). Que ressens-tu par rapport à ce phénomène ?

Paul Deliège - Je ressens une sorte d'étonnement. Les Krostons ne sont pas Boule & Bill. C'est un truc qui est très modeste.

Kalkaf pour Tu as pris ta retraite il y a près de 9 ans. Quels souvenirs gardes-tu du monde de la BD ?

Paul Deliège - Des beaux souvenirs. J'ai eu une belle vie et fait un beau métier. Je m'y suis bien amusé. Certes il y a eu du bon et du moins bon ! Mais mon meilleur souvenir reste, en 1982 : l'arrivée de Philippe Vandooren, à la place d'Alain de Kuysche, comme rédacteur en chef de Spirou. Philippe a été le meilleur rédacteur en chef que j'ai eu de toute ma carrière. Nous nous comprenions. Il aimait mon humour, j'aimais son intelligence, son esprit. C'était un plaisir de travailler avec lui.

Il y a aussi la fois où j'ai vu arriver dans Pilote le personnage de Corto Maltese dans son fauteuil en rotin comme celui d'Emmanuelle, les jambes sur la table. Quand j'ai vu ce dessin, j'ai demandé : "Qui est-ce qui a fait ça ?" Et c'était Pratt, le flamboyant ! Ce grand artiste ! Il en a fait de ces trucs ! Il dessinait admirablement bien, les armes, les avions, les mitrailleuses, les costumes, … en quelques coups de pinceau. Waouhhh !

Je trouve que j'ai finalement eu beaucoup de chance tout au long de ma carrière. Je n'ai pas écrit grand-chose et ça a marché. J'ai tenu 36 ans alors que des dizaines d'autres auteurs ont été virés. Quand un nouveau rédacteur arrivait chez Spirou, il faisait la moisson ! Les bâcleurs ou les pas sérieux étaient jetés. Alors, je me suis aidé. Dans la vie, il ne faut pas "faire le con" ! Je faisais ce que l'on me demandait. Je ne disais jamais non, je respectais toujours les dates. On comptait sur moi sans "m'emmerder". On ne me demandait pas trop de trucs et à part pour les numéros spéciaux, je n'avais pas réellement de délais fixés. C'était formidable ! J'étais assez libre. Tout ce que je proposais était pris.

Comme dirait Pierre Dac, je suis parti de rien pour arriver à pas grand chose (ah ! ah ! ah ! ).

Quelques photos de l'exposition hommage à Paul Deliège d'Arlon - Septembre 2005

Kalkaf pour Quel regard portes-tu sur la BD actuelle ?

Paul Deliège - Je n'en sais à vrai dire trop rien. Je ne lis plus grand-chose. Et puis quand on a mon âge, on est vite considéré comme un "vieux con" par certains jeunes auteurs.

Néanmoins, je préfère la BD actuelle. Le dessin est meilleur et l'impression laser aussi. Cela n'a rien à voir avec les techniques de l'hélio ou de l'offset que j'ai connues durant ma carrière.

Certaines personnes m'amènent des albums d'aujourd'hui et je constate qu'il y a des trucs formidables. Il y a de nouveaux auteurs qui sont de vrais cracs comme Midam ou Cuadrado.

En fait, c'est difficile de répondre car il y a du bon et du moins bon à toutes les époques.

Personnellement, je suis nostalgique de la BD qui existait avant moi : les Jijé et autres Walt Disney, au début de Spirou avec toutes ces aventures américaines, Jean Valhardi ou Spirou par Jijé. C'était l'âge d'or de la BD !

Kalkaf pour Pour quelles raisons ?

Paul Deliège - On est toujours nostalgique de son enfance. Mais cela ne veut pas dire que c'est forcément meilleur ou extraordinaire.

Quand j'étais gosse, j'ai été élevé à Mickey. A l'époque, il paraissait dans le journal " La Meuse ". Une amie découpait les bandes et les collait les unes à la suite des autres dans un vieux catalogue de papiers peints. Qu'est-ce qu'il était lourd ce catalogue !

Je me souviens aussi d'un album de Mickey que l'on m'avait offert en 1939. A cette époque il n'en paraissait que 3 ou 4 par an. Je le connaissais par cœur. J'avais usé le livre tellement j'avais lu et relu ces histoires de Mickey, des Trois petits cochons, de Blondie, de la Famille Illico et des autres séries américaines.

Toutes les histoires sont restées là, dans ma tête. Mais, je n'étais pas le seul ! Dans certains scenarii de Greg, de Franquin ou de Macherot, j'ai trouvé des réminiscences des bandes lues dans le catalogue de papiers peints (clin d'œil).

Et puis, c'était de la bonne BD ! Les auteurs ne se prenaient pas au sérieux. Ils étaient gênés de dire qu'ils faisaient de la BD, ce n'était pas valorisant. Ils disaient qu'ils étaient peintres. Mais aujourd'hui qui connaît Pinchon pour ses peintures ? Pinchon n'est connu que pour Bécassine !

Il y a une grande période que je n'ai pas beaucoup aimée. La BD était stéréotypée ; elle avait ses règles. Elle était menée par quelques mecs. C'était l'époque où je travaillais !

Kalkaf pour Et que penses-tu de l'engouement actuelle pour la para-BD ?	La statuette de Bobo réalisée par Jacques Devos
Paul Deliège - C'est la BD d'aujourd'hui ! Mais, moi, ce que j'aime des BD, c'est le dessin, le papier pour lesquels je voue un véritable amour. Je ne vais pas collectionner les pots de moutarde ou les T-shirts.
Kalkaf pour Peux-tu nous parler de tes expériences de mise en 3D de tes personnages ?
Paul Deliège - La première, c'était avec Jacques Devos, l'auteur de Génial Olivier. Il avait fait un Bobo en pâte à bois, du Goupa ! A l'époque, au début des années 1960, il avait aussi fait un soldat romain pour Rosy. J'en ai eu d'autres, faites pas des amateurs qui avec le temps sont devenus des amis avec lesquels je corresponds toujours. Elles sont faites en papier mâché. Puis, il y a eu le Bobo. Ceux qui organisent la fête biannuelle d'Olne ("Olne Autrefois"), ont eu l'idée de faire un Bobo en résine. A l'époque il était vendu 2000 francs belges (environ 50 €). La statuette n'est pas réussie. Elle a trop peu de rayures, 2 au lieu de 3. Elle n'est vraiment pas belle. Elle ne s'est pas vendue et ils ont bu le bouillon sur ce projet. Ils ont donc abandonné l'idée qu'ils avaient de faire un Kroston par la suite.

La statuette de Bobo réalisée pour "Olne Autrefois"

Kalkaf pour Justement, à propos de Krostons en résine, il y a celui d'OBJECtible. Qu'en penses-tu ?	Le Kroston réalisé par OBJECtible, Dominique Mufraggi et Like An Angel Le prototype sculpté par Dominique Mufraggi
Paul Deliège - Il est très beau. Au départ, quand j'ai été contacté par OBJECtible, je ne comprenais pas ce qu'était OBJECtible. J'ai regardé dans le dictionnaire mais le mot n'existait même pas ! Alors, j'ai aiguillé OBJECtible vers Marc Impatient qui venait de racheter mes droits.
Kalkaf pour Tu as rencontré le sculpteur du Kroston, Dominique Mufraggi. Comment cela s'est passé avec lui ?
Paul Deliège - C'est un professionnel, un as ! Je n'ai jamais vu de personnages faits de cette façon. Arriver ainsi à montrer les plis du manteau,... Non vraiment, c'est un très beau travail ! Je lui ai dit qu'il l'avait fait tel que jamais je n'aurais cru que l'on puisse le sculpter. Il l'a fait creux. Et en effet, le Kroston est creux, il est vide. Qu'est ce qu'un Kroston ? Ce n'est rien ! Un chapeau, un manteau, des pieds et deux mains ! Il n'y a rien dedans ! En dédicace certains petits malins me demandaient de le dessiner sans son chapeau ou jouant du cor de chasse. Mais le Kroston ne joue pas du cor de chasse, il n'a pas de bouche !
Kalkaf pour Pourtant le Kroston parle vu qu'il y a des bulles, non ?
Paul Deliège - Oui, certes ! Il y a les phylactères. Mais c'est une question que je ne me suis jamais posée. De même que la question de savoir comment il marche puisqu'il est vide ! En fait, je préfère travailler Bobo que le Kroston. Bobo est rigolo, il est plus facile. C'est un humain et il peut faire tout ce qu'un humain peut faire. Il peut s'évader, creuser... Les Krostons, c'est autre chose ! Le dessin du Kroston est plus graphique, les proportions sont plus belles, le chapeau par rapport au manteau donne plus d'équilibre. Mais les Krostons ne peuvent rien faire par eux-mêmes. Ils n'existent que par rapport aux humains et aux animaux qui gravitent autour. Ils ne sont pas drôles ! J'avoue que je n'ai jamais compris cet engouement pour les Krostons !
Kalkaf pour Serais-tu partant pour voir les deux autres frères du Kroston passer en 3D ? Dans quelle position les imagines-tu ?
Paul Deliège - Oui. J'en verrais bien un avec un porte-plume vertical qui apporterait plus d'équilibre. Mais on pourrait aussi le faire avec un crayon, une clef à sardine. En tout cas ce serait avec un vrai porte-plume, une vraie plume ou un vrai crayon ! Il faudra demander une ristourne à Conté (ah ! ah ! ah !).

Kalkaf pour A une époque, il avait été envisagé un dessin animé des Krostons. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?

Paul Deliège - Aujourd'hui on fait des dessins animés avec tous les personnages sauf les personnages réalistes. Mais à l'époque, c'était rare !

Dupuis voulait faire un dessin animé. Trois personnages avaient été retenus : les Schtroumpfs, les Krostons et dans une moindre mesure Vieux Nick. Ils avaient été proposés au Midem à Cannes à des producteurs américains. J'avais dû faire une bible en anglais avec toutes les caractéristiques. Je ne pouvais pas dire non. Mais, ça me faisait "chier" et j'espérais que le projet ne se fasse pas ! Au final, les USA ont choisi les Schtroumpfs. Les Schtroumpfs faisaient rêver les gosses, alors que les Krostons leur faisaient faire des cauchemars (ah ! ah ! ah !).

Il y a aussi la critique Catherine Laporte ! Elle souhaitait aussi voir un dessin animé des Krostons. Elle avait adoré les Krostons quand elle était petite. Aussi, lors d'un de ses voyages à Hollywood, elle a emporté la bible que j'avais écrite. Là encore, les américains ont refusé le projet.

Plus récemment, Patrice Bauduinet avait un projet de dessin animé mélangé avec des personnages réels, dans le style de Roger Rabbit. Il a essayé partout de trouver des financements. Mais au final, il n'a pas eu de subsides.

Je ne suis pas mécontent que ces projets n'aient jamais vu le jour. D'une certaine manière, j'ai horreur du dessin animé. Je préfère de loin le papier ! Et puis cela m'aurait demandé un travail colossal !

Quelques Krostons réalisés par des amateurs

Kalkaf pour Quel avenir vois-tu pour tes personnages ?

Paul Deliège - Ils sont tous morts ! Personne ne va se jeter sur les Krostons ou sur Bobo. Qui mettrait du "pognon" pour créer une nouvelle BD des Krostons ou de Bobo ? Il est normal que tous les personnages meurent sauf ceux qui peuvent rapporter de l'argent.

J'ai eu des propositions pour les reprendre mais je n'ai jamais eu envie. Je ne tiens pas à ce que l'on fasse faire n'importe quoi à mes personnages et cela m'apaise de savoir qu'on ne les reprendra jamais.

On peut reprendre Lucky Luke ou le Marsupilami, mais pas les Krostons, Bobo, les Motards, Flagada ou Jess Long qui sont des vieux machins morts et enterrés dont personne ne veut plus car pas suffisamment rentables.

On m'a récemment écrit pour rééditer en albums les aventures de Théophile et Philibert que j'avais écrites en 1960-1961. Cela vient de la préhistoire un truc pareil ! Qui cela va bien pouvoir intéresser ? C'est fini tout ça ! C'est avec ces histoires que j'ai démarré et que je me suis établi comme auteur de BD. Je les avais présentées à Charles Dupuis et à Yvan Delporte qui m'avaient dit : "C'est très mauvais !". Ils m'ont néanmoins engagé mais m'ont mis Vicq (Antoine Raymond) au scénario. Vicq était un bon humoriste.

Paul Deliège découvrant le Kroston en 3D	Kalkaf pour Si une suite des aventures des Krostons était envisagée, comment l'imagines-tu ?
	Paul Deliège - Je n'envisage rien de nouveau. Il faudrait payer un scénariste et un dessinateur. Cela coûterait trop cher et cela ne serait pas très rentable.
	Kalkaf pour En admettant que financièrement cela puisse se faire. Quel dessinateur et scénariste verrais-tu pour reprendre le flambeau ?
	Paul Deliège - Pour le dessin, je ne vois personne ! Et puis est-ce que cela intéresserait un dessinateur de reprendre les Krostons ? Pour le scénario, des auteurs comme Midam, Cuadrado, Zidrou, Lapierre ou Tome. Mais ils ont déjà leur boulot… Et puis j'ai toujours été contre les reprises, donc a fortiori contre les miennes. Je les trouve toujours mauvaises. Si tu reprends l'exemple de Lucky Luke, personne n'est Goscinny et Morris. J'ai lu le dernier en prépublication dans "La Dernière Heure". Je n'ai pas aimé le scénario. Je me suis demandé pourquoi Gerra s'était embarqué dans un truc pareil ! Et si Achdé dessine les chevaux, Rantanplan et Lucky Luke à la manière de Morris, dès qu'il sort de ces personnages, il ne fait plus du Morris, il fait du Achdé.

Kalkaf pour Pourtant la reprise d'un personnage comme Spirou n'a pas toujours été ratée ?

Paul Deliège - Quand Franquin faisait du Jijé, entre 1946 et 1947 ça allait. Mais après, il s'est mis à faire du baroque métallique…. Quant aux deux derniers repreneurs je suis sceptique ! Je n'aime pas du tout. Pour moi, le meilleur Spirou, c'était fait par Jijé ! Mais je comprends que l'on soit obligé de le reprendre car c'est lui qui donne son nom au journal.Je pense que personne ne vaut jamais le créateur. Qui peut faire du Pratt à part Pratt lui-même ? Quand Victor Hugo est mort, on a arrêté de faire du Victor Hugo. Hergé a eu raison de faire ce qu'il a fait. Jacobs lui a voulu que ça se perpétue ; mais c'est du simili Jacobs. C'est comme le cuir et le simili cuir ! On ne peut pas faire ce qu'un autre a fait. Nous sommes tous uniques.

Je te remercie au nom de tous les lecteurs des Krostons et d'

La dédicace de Paul Deliège pour

Superdingue - Tome 2

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Superdingue - Tome 3

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2004

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